Sur le régime Duterte et le cinquantième anniversaire de la fondation du CPP : un entretien avec Jose Maria Sison
Entretien avec Jose Maria Sison
Président fondateur du Parti Communiste des Philippines,
Dr Rainer Werning pour Neues Deutschland
1er Décembre 2018
1) Au début, le président Duterte semblait très enthousiaste à l’idée de conclure un accord avec le NDFP / CPP / NPA. Depuis la fin de 2017, il a changé de politique et appelle toutes ces organisations « terroristes ». Qu’est-ce qui se cache derrière un changement aussi radical? Est-il physiquement et mentalement apte à diriger le pays ?
JMS : Duterte est un escroc politique. Il s’est dit lui-même de gauche et socialiste. Mais même quand il était toujours maire de Davao, il jouait déjà un double jeu en prétendant coopérer avec le mouvement révolutionnaire, mais en servant réellement les intérêts de l’industrie minière, de l’exploitation forestière et de la plantation et de ses propres intérêts capitalistes bureaucratiques ; et en fournissant des informations aux agences de renseignement réactionnaires contre le mouvement révolutionnaire.
Le NDFP a remarqué qu’il était un menteur lorsqu’il a retiré sa promesse d’amnistie et de libération de tous les prisonniers politiques. Dès son arrivée à la présidence en 2016, il a lancé sa guerre sans merci contre la Nouvelle Armée Populaire (NPA). Ses sbires armés ont attaqué la NPA et les habitants des zones rurales malgré des périodes de cessez-le-feu au cours des négociations de paix du GRP-NDFP.
Très vite, il a exposé son alliance secrète avec les pires oligarques et pillards basés à Luçon, tels que les Marcoses, les Arroyos, les Estradas, les Enriles et autres. Ceux-ci ont en fait donné à Duterte les 14% des voix à ajouter aux 25% des voix qu’il a reçu dans les Visayas, ce qui l’a fait président avec 39% du total des voix nationales.
Il est également malade physiquement et mentalement.
Il a admis avoir au moins deux maladies débilitantes. Il est devenu accro au fentanyl et fait presque tous les jours des déclarations contradictoires qui révèlent son dérangement mental. Il est physiquement et mentalement inapte à être président des Philippines.
2) Lui et les chefs militaires influents derrière lui ont pour objectif de « détruire » le CPP d’ici à 2019 ! Quelle est votre opinion à ce sujet ?
JMS : Il est impossible pour Duterte et ses sous-officiers militaires de détruire le CPP en 2019 ou au cours en n’importe quelle autre année pour les raisons suivantes :
2.1 La crise des systèmes semi-coloniaux et semi-féodaux s’aggrave rapidement. L’escalade des conditions d’oppression et d’exploitation pousse le peuple à résister au régime de Duterte et au système en place et à rejoindre le mouvement de masse légal ainsi que le mouvement révolutionnaire armé.
2.2 Le régime Duterte aggrave la crise du système en place. Les tentatives brutales du régime de détruire les forces révolutionnaires et d’intimider la population, incitent un nombre croissant de personnes à rejoindre le CPP et la NPA.
2.3 Le CPP, la NPA, les organisations de masse révolutionnaires et les organes locaux du pouvoir politique (qui constituent le gouvernement démocratique populaire) ne cessent de se renforcer et de progresser.
2.4 La ligne de la révolution démocratique populaire par le biais d’une guerre populaire prolongée fonctionne efficacement et contrecarre tout plan opérationnel stratégique visant à détruire les forces révolutionnaires, depuis le régime fasciste de Marcos.
2.5 Le CPP en particulier ne peut pas être détruit car il a acquis une force nationale solide grâce à la lutte et est profondément enraciné parmi les masses ouvrières et paysannes. Il a toujours été clandestin. Duterte doit tuer 100 à 1000 non-communistes avant de pouvoir tuer un communiste.
3) Le 26 décembre, le CPP célèbre son 50e anniversaire. Quelles ont été les principales réalisations du Parti au cours des 5 dernières décennies ? Comment se fait-il que tous les autres partis communistes de la région – hormis le Vietnamien – aient disparu ?
JMS : Le CPP a réalisé de grands accomplissements idéologiques, politiques et organisationnelles au cours des 50 dernières années. Il doit son succès à son adhésion au marxisme-léninisme-maoïsme, à sa ligne générale de révolution démocratique populaire fondée sur une guerre populaire prolongée et au principe d’organisation du centralisme démocratique.
3.1 Idéologiquement, le CPP a produit des écrits théoriques et politiques appliquant le marxisme-léninisme-maoïsme à l’histoire et aux circonstances concrètes du peuple philippin. Il a combattu les courants dogmatiques et empiristes du subjectivisme, et les a corrigés par le biais de critiques, d’autocritiques et de mouvements de rectification sérieux.
Le CPP a maintenu, défendu et promu son intégrité et ses conceptions révolutionnaires prolétariennes en résistant au révisionnisme, au réformisme et à l’opportunisme de la part des autres partis, et au néo-colonialisme et au néolibéralisme de sources impérialistes. Il a éduqué et formé des dizaines de milliers de membres du Parti et de candidats-membres des organisations de masse, de l’armée populaires et des institutions. Les dernières technologies ont été utiles pour faciliter l’éducation et la formation des cadres du Parti et des militants de masse.
Depuis la restauration totale du capitalisme dans les pays révisionnistes dans les années 1989 à 1991, le CPP est resté ferme sur la ligne que l’entrée de la Chine et de la Russie dans le cercle supérieur des puissances impérialistes accélérerait finalement le déclin de l’impérialisme américain et aggraverait les contradictions inter-impérialistes au sein du système capitaliste mondial décadent.
3.2 Le CPP a correctement défini la ligne politique générale de la révolution démocratique populaire dans une perspective socialiste, grâce à la guerre populaire prolongée contre le capitalisme monopoliste étranger, le féodalisme national et le capitalisme bureaucratique. Il a constamment porté cette ligne avec succès.
Il s’est révélé être le détachement avancé du prolétariat et du peuple philippins. Il a développé un mouvement syndical de seulement 20 000 personnes dans la région de la capitale nationale en 1968 à des centaines de milliers de personnes dans le pays maintenant. Il a également développé un mouvement paysan de 80 000 personnes en 1969 à des millions maintenant.
Il a construit la Nouvelle Armée Populaire composée de seulement 60 combattants rouges partageant seulement neuf fusils automatiques et 26 armes à feu de qualité inférieure dans un district provincial de la province de Tarlac, à des milliers équipés de fusils très puissants sur plus de 110 fronts de guérilla dans 73 des 81 provinces philippines.
La NPA a intégré la lutte armée révolutionnaire eh la révolution agraire en tant que contenu principal de la révolution démocratique et à la constitution d’une base de masse afin de constituer des organisations de masse de différents types dans les zones rurales et de constituer les organes locaux du pouvoir politique. Sous la direction du CPP, la NPA a joué le rôle de défenseur du gouvernement démocratique des peuples basé en milieu rural, opposé au gouvernement réactionnaire basé dans la ville, composé de gros compradors, de propriétaires et de bureaucrates corrompus.
Le CPP a été responsable du développement du mouvement de masse des masses laborieuses d’ouvriers et de paysans, de la petite bourgeoisie urbaine et de divers secteurs ayant un intérêt commun. Il construit, dirige et permet au gouvernement populaire de mettre en œuvre des programmes d’éducation publique, de réforme agraire, de production, de santé et d’assainissement, de défense culturelle, d’arbitrage et de justice, de secours en cas de catastrophe, de protection de l’environnement et autres.
Le CPP a suscité, organisé et mobilisé des millions de personnes par le biais du mouvement de masse et du front uni. Il a provoqué le renversement du régime fasciste de Marcos et du régime corrompu d’Estrada en 1986 et 2001, respectivement, par le biais de gigantesques manifestations de masse et de l’intensification de la guerre populaire dans les campagnes.
3.3 Les réalisations organisationnelles du CPP peuvent être facilement comprises du fait qu’il ne comptait que 80 membres le jour de sa fondation en 1968 et compte maintenant 70 000 membres appartenant au gouvernement populaire, aux organisations de masse, à l’armée populaire et à diverses institutions.
Les membres du CPP sont issus du mouvement de masse et de l’armée populaire. Ils sont profondément enracinés parmi les masses laborieuses d’ouvriers et de paysans et sont mis à l’épreuve et trempés dans la lutte révolutionnaire. Ils sont maintenant dans toutes les provinces des Philippines. Le plan quinquennal actuel du CPP prévoit d’augmenter le nombre de ses membres à au moins 500 000 membres.
4) Prévoyez-vous une guerre sans cesse plus intense et plus sanglante contre l’AFP ?
JMS : Duterte a mené une politique de guerre totale depuis son accession à la présidence en 2016 et a officiellement mis fin aux négociations de paix GRP-NDFP. Chaque jour, il se bat contre le mouvement révolutionnaire et appelle ses subordonnés armés à tuer tous les membres présumés ou potentiels du CPP et de la NPA. En attendant, il aggrave l’exploitation et l’oppression de tout le peuple.
Par conséquent, le mouvement révolutionnaire du peuple dirigé par le CPP n’a d’autre choix que d’intensifier la lutte armée révolutionnaire afin de renverser Duterte et de faire progresser la lutte révolutionnaire à long terme visant à renverser le système en place. Le régime de Duterte est responsable d’avoir mis fin aux négociations de paix, de déchaîner le terrorisme d’État et d’inciter le peuple et l’armée populaire à mener une résistance armée.
5) Qu’en est-il des chances de nouvelles négociations de paix entre le NDFP et le GRP du temps de Duterte ?
JMS : Le NDFP reste ouvert aux négociations de paix avec le GRP afin d’empêcher Duterte de poursuivre son projet de dictature fasciste totale et de rechercher des accords sur des réformes sociales, économiques et politiques pour s’attaquer aux racines du conflit armé et jeter les bases d’une paix juste et durable.
Duterte peut se rendre compte qu’il est vain de réprimer la révolution armée par une simple force militaire et il pourrait être persuadé d’opter pour la reprise des négociations de paix. Mais le peuple ne peut pas dépendre de son subjectif erratique. Il a une propension psychotique à utiliser la violence et un projet visant à instaurer une dictature fasciste par le biais d’un changement de charte en vue un fédéralisme bidon.
6) Le président arrivera-t-il même au bout de son mandat en 2022 ?
JMS : Les larges masses du peuple sont pour l’éviction de Duterte du pouvoir. Ils estiment qu’il est plus facile de l’évincer que de le persuader d’opter pour des négociations de paix, de changer sa façon de faire et de terminer son mandat en 2022.
Il est peu probable que Duterte achève son mandat car il commet des meurtres de masse, des attaques militaires contre des communautés pauvres urbaines et rurales, une corruption d’une ampleur sans précédent, une vente des droits souverains et du patrimoine national à la Chine et à d’autres puissances impérialistes, des emprunts locaux et étrangers excessifs, imposant une charge fiscale plus lourde à la population et provoquant la hausse rapide des prix des produits de base et des services.
En outre, Duterte a de graves responsabilités et vulnérabilités en raison de la détérioration de sa santé physique et mentale et des divisions croissantes entre les hauts bureaucrates, les militaires et la police, en raison de ses décisions arbitraires, de ses actes de favoritisme, de ses fréquentes volte-faces et de ses contradictions. À plusieurs reprises, il a lui-même exprimé publiquement ses craintes d’être renversé par un coup d’État d’officiers militaires pro-américains et anti-chinois.
Dans le même temps, un nombre croissant d’officiers et de policiers patriotes et démocrates sont sur le point de retirer leur soutien à Duterte dès que les manifestations de masse atteindront des centaines de milliers ou des millions à Manille. Ils imitent les exemples de 1986 et 2001, lorsque l’armée et la police se sont associées au mouvement de masse visant à renverser Marcos et Estrada.
Source : https://www.ndfp.org/on-the-duterte-regime-and-the-celebration-of-the-cpp-50th-founding-anniversary/