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La Révolution Culturelle : un Besoin Constant

Discours d’ouverture pour la Conférence Culturelle 2016 à Bacolod City le 16 septembre 2016
Par le Professeur Jose Maria Sison
Président de la Ligue Internationale des Luttes des Peuples

Chères travailleurs culturels, compatriotes et amis,

Je suis très honoré et profondément heureux d’être invité comme conférencier principal à votre Conférence Culturelle 2016. Je remercie les organisateurs, les Concerned Artists of the Philippines et Sinagbayan de m’avoir invité. Et je félicite les organisateurs et tous les participants pour leurs réalisations en matière de travail culturel et de créativité.

En 1966, j’ai prononcé un discours sur la nécessité d’une révolution culturelle aux Philippines. J’ai montré comment le mouvement de propagande et les publications révolutionnaires du Katipunan et du gouvernement révolutionnaire philippin ont vaincu la domination culturelle espagnole qui avait pré-conditionné l’esprit du peuple colonisé.

Les révolutionnaires philippins de 1896 ont mis en avant une culture nationale, démocratique libérale et favorable aux pauvres, face à ce qui était colonial, religieux, sectaire, obscurantiste, médiéval et indifférent à la dépossession et à la pauvreté du peuple philippin. Ils ont dû mener une révolution culturelle qui dénonçait les injustices coloniales et féodales et mettait en avant une ligne nationale et démocratique afin de triompher sur plus de trois siècles de domination coloniale espagnole.

Les revendications révolutionnaires en faveur de l’indépendance nationale et d’un développement économique libre au-delà de l’emprise du pillage colonial n’auraient pas gagné de terrain et n’auraient pas permis la victoire de la révolution philippine sans la révolution culturelle pour gagner les cœurs et les esprits et inspirer le peuple à se battre pour sa libération nationale et à appuyer les forces armées de la révolution ..

La force militaire américaine et la déception démocratique libérale

Même si l’essence jacobinne de la Révolution française avait une forte influence sur les révolutionnaires philippins, allant d’Andres Bonifacio au général Antonio Luna Mabini en passant par Apolinario Mabini, ils ne pouvaient vaincre l’utilisation combinée brutale d’une force militaire supérieure et d’un jargon démocratique libéral trompeur des États-Unis, qui était un pouvoir impérialiste moderne nouvellement émergé.

Pour tromper les dirigeants du gouvernement révolutionnaire tels qu’Emilio Aguinaldo, Felipe Buencamino, Pedro Paterno, etc., les agresseurs américains et leurs émissaires n’ont cessés de parler d’idées démocratiques libérales et patriotiques. Même lorsqu’ils massacraient le peuple philippin par centaines de milliers, ils faisaient toujours des pauses pour leurs assurer qu’ils n’avaient pas l’intention de coloniser les Philippines.

Leur propagande impérialiste visait principalement la bourgeoisie libérale indigène dans le but de recruter plus de pantins. La chaîne de journaux Hearst a imposé aux agresseurs américains le devoir de coloniser le peuple philippin, de le former à l’autonomie gouvernementale et de lui accorder son indépendance en temps voulu. Après tout, les objectifs de l’impérialisme américain étaient de garantir des domaines d’investissement, des sources de main-d’œuvre et de matières premières bon marché, un marché et une base stratégique dans le pacifique pour participer au pillage de la Chine.

Comme les Espagnols pendant plus de trois siècles de domination coloniale aux Philippines, les États-Unis ont compris l’importance de cultiver la mentalité coloniale parmi les peuples colonisés. Le meilleur moyen de promouvoir la mentalité coloniale est d’utiliser le langage du colonisateur comme principal moyen de gouvernance, d’éducation, d’art, de littérature et de communication de masse.

L’impérialisme américain a surpassé le colonialisme espagnol par la rapidité, l’ampleur et la portée de la propagande américaine et de l’éducation en anglais. Il a établi le système scolaire public. Il a mobilisé les troupes américaines et les enseignants américains pour servir d’enseignants d’écoles publiques. Il a amené les missionnaires protestants à devenir enseignants dans l’arrière-pays. Très tôt, il a créé un système de pension pour former des représentants du gouvernement philippin aux États-Unis.

Il a développé tous les niveaux d’éducation pour former un personnel nécessaire à la bureaucratie, aux entreprises et aux professions libérales. C’était une puissance coloniale déterminée à transformer le système féodal en un système semi-féodal avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Il a mis en place l’industrie, en utilisant des matières premières locales. Il a développé l’industrie minière et a augmenté la mécanisation des plantations pour l’exportation. Il a amélioré le système de transport et de communication.

En promouvant une mentalité coloniale en langue anglaise, une sorte de démocratie libérale conservatrice et la prétendue primauté du marché libre, l’impérialisme américain a profité non seulement du système éducatif, mais aussi des églises, des médias et du divertissement, en particulier des films hollywoodiens, des émissions de radio et de la musique pop depuis avant la Seconde Guerre mondiale, et l’avalanche de programmes télé et de magazines produits aux États-Unis, empreints de publicité consumériste et de valeurs ultra-réactionnaires après la Seconde Guerre mondiale.

Après l’octroi de l’indépendance nominale aux Philippines par les États-Unis en 1946, le système politique peut être qualifié de semi-colonial, non plus sous domination coloniale directe des États-Unis, mais indirectement par le biais de traités, accords et arrangements inéquitables favorables aux États-Unis. Les grosses huiles du gouvernement n’étaient plus les fonctionnaires coloniaux américains, mais les agents politiques et les bureaucrates formés des grands compradors et des propriétaires terriens.

Pour maintenir l’économie semi-féodale, les États-Unis s’appuient également sur ces classes d’exploitation locales pour rendre les Philippines dépendantes de l’exportation de matières premières et de l’importation de produits manufacturés, pour solliciter des prêts et des investissements étrangers pour maintenir la consommation et le commerce extérieur et pour saper toute demande populaire pour un développement économique authentique des Philippines. La forte demande d’industrialisation nationale dans les années 50 et 60 a été mise en échec par les oligarques américains et locaux en optant pour les industries dites de substitution aux importations, qui ont conduit à des usines de réassemblage et de reconditionnement.

Les États-Unis ont renforcé leur influence culturelle sur les Philippines de nombreuses manières. Ils ont utilisé des bourses d’études et des bourses de voyage pour rallier les étudiants les plus brillants, les enseignants, les écrivains et les artistes philippins, et les journalistes au point de vue de l’impérialisme américain. Les bases militaires américaines n’étaient pas seulement des bases d’attaques contre des pays voisins, elles visaient également à donner une bonne image à son agression en encourageant les Philippins à servir dans les forces armées américaines et à pouvoir profiter des biens d’importations militaires (les « PX goods »).

Outre ses propres vecteurs culturelles directes telles que l’USIS et des fondations soi-disant philanthropiques, il a utilisé les médias de masse, les écoles et les églises comme des outils de la guerre froide pour justifier le maintien de la domination américaine continue sur les Philippines et pour discréditer comme « communiste » ou « pro-communiste » toute pensée ou œuvre critiquant la domination américaine et affirmant son indépendance nationale.

Remettre en question les règnes semi-coloniale/semi-féodale avec une révolution culturelle

C’est en 1966 que nous avons appelé à une culture nationale, scientifique et de masse afin de résister au système semi-colonial et semi-féodal d’oppression et d’exploitation. Nous voulions éveiller, organiser et mobiliser les étudiants, les enseignants et autres professionnels, les écrivains et les artistes, les journalistes et tous les travailleurs et militants culturels afin qu’ils se mobilisent pour revendiquer une culture nationale, scientifique et de masse et se débarrasser de la mentalité coloniale, de l’obscurantisme, et des préjugés anti-peuples qui bloquent la voie vers la pleine indépendance nationale, la démocratie, le développement, la justice sociale et le progrès global.

Depuis 1966, les conditions semi-coloniales et semi-féodales se sont aggravées et approfondies. Le système éducatif et culturel qui l’a promu est devenu encore plus puissant. Le régime Marcos avait le talent à utiliser des questions en suspens avec les États-Unis comme outils de négociation dans son stratagème visant à établir une dictature. Il a assuré aux États-Unis qu’ils pourraient continuer à avoir des bases militaires aux Philippines. Il a également assuré aux entreprises américaines des moyens de contourner les restrictions de nationalité en matière de propriété des terres, d’exploitation des ressources naturelles, les opérations d’utilité publiques et autres.

Son objectif le plus important était de modifier la constitution de 1936 par la convention constitutionnelle de 1971 pour l’adapter à ses impératifs impérialistes et à ses propres ambitions dictatoriales fascistes. Au cours de ce processus, il a utilisé et dépassé les clérico-fascistes qui avaient depuis longtemps préconisé des amendements à la Constitution comme la soi-disant voie à suivre pour la nation.

Lorsqu’il a déclaré la loi martiale en septembre 1972, il a justifié sa prise de pouvoir effrontée et son régime terroriste ouvert par un vaste éventail de philosophies et de mythes fascistes. La loi martiale a suscité un faux sentiment d’acceptation du public en créant un monopole sur les médias qu’il utilisait pour scander des slogans trompeurs tels que « construire la nouvelle société », « l’autoritarisme constitutionnel », « la discipline » et « la Révolution depuis le centre ».

Le peuple philippin a résisté au régime dictatorial de Marcos soutenu par les États-Unis, par le biais d’un vaste mouvement de masse anti-fasciste et anti-impérialiste, avec les forces révolutionnaires nationales-démocrates à l’avant-plan. Le peuple a riposté à travers différentes formes de luttes armées, légales et clandestines. Dans chaque arène de lutte, ils ont utilisé tous les moyens disponibles de propagande et d’agitation pour briser le monopole des médias de Marcos et pour faire avancer la révolution culturelle.

Pendant qu’il était au pouvoir, Marcos a cherché à favoriser sa faction de capitalistes bureaucratiques et de sbires pour qu’ils viennent s’ajouter à la vieille crème des super-riches grands compradors et propriétaires terriens. Il a emprunté des sommes immenses de l’étranger pour s’engager dans des projets d’infrastructure destiné à échouer. Il a fais passer cela pour de l’industrialisation, pour des projets de construction liés aux importations.

Par la suite, il a mis en avant une production axée sur l’exportation comme moyen d’industrialisation. Cela employait moins de personnel et impliquait encore moins de transformation des composants importés que dans les entreprises de substitution aux importations. Alors que les opportunités d’emploi diminuaient de plus en plus, Marcos a adopté la politique d’exportation de main-d’œuvre bon marché. Tout cela persisterait lorsque les États-Unis furent à l’origine du grand changement de politique vers le néolibéralisme économique. Le régime de Marcos a complètement ignoré la demande du tiers monde en faveur d’un nouvel ordre économique international et même la nécessité pour une économie de devenir une économie nouvellement industrialisée comme Taiwan et la Corée du Sud.

Le régime de politique économique néolibéral a soumis tous les régimes pseudo-démocratiques après Marcos. Les forces mondiales anti-impérialistes et socialistes ont subit un recul stratégique lorsque les régimes à tendance révisionniste et l’Union soviétique se sont désintégrés et ont complètement cédé la place à la restauration complète et ouverte du capitalisme. En conséquence, les États-Unis et leurs alliés impérialistes propagent allègrement l’offensive idéologique et politique en affirmant qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme. Ils ont poussé l’offensive économique néolibérale et déclenché une série de guerres d’agression dans les Balkans, en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique.

Aux Philippines, depuis 1966, le mouvement national-démocratique a constamment soutenu une résistance populaire au système dominant persistant et exacerbé semi-colonial et semi-féodal et a réclamé une culture nationale, scientifique et de masse. Il a suscité un nombre toujours croissant de participants et de soutiens. Il a créé des formations culturelles sur des bases multisectorielles et sectorielles. Il n’y a pas d’organisation majeure qui ne dispose de troupe culturelle. Le travail culturel a été un facteur clé dans le renforcement des divers types d’organisations de masse et a été responsable de la participation militante du peuple aux mobilisations de masse.

À cet égard, j’ai rédigé un article assez volumineux intitulé « Littérature et art révolutionnaires aux Philippines des années 1960 à nos jours », que j’ai présenté sous forme abrégée lors de mon discours au programme ACLE (Alternative Classroom Learning Experience) à l’Université des Philippines de Diliman le 15 octobre 2015.

La Révolution Culturelle : un besoin constant

La nécessité de mener la révolution culturelle persiste car la crise chronique du système au pouvoir continue de s’aggraver et il est nécessaire de poursuivre la révolution démocratique populaire dans son ensemble. déLa nécessité de poursuivre la révolution culturelle est soulignée par les possibilités sans précédent de faire progresser la cause révolutionnaire à l’échelle des Philippines et par le fait que le régime de politique économique néolibéral s’effondre et que les guerres d’agressionclenchées par les États-Unis dans de nombreux pays du monde sont en train de devenir des bourbiers pour l’impérialisme américain.

Nous devons avoir une culture nationale qui unit les peuples avec une langue nationale et un héritage culturel commun tout en préservant les langues locales et les diverses cultures ethniques. Nous avons une histoire nationale riche de luttes révolutionnaires contre les colonisateurs occidentaux et contre les fascistes étrangers et locaux.

Sans un sens élevé du patriotisme, nous ne ferions que vénérer des cultures étrangères, négliger les nôtres et perdre le désir d’apprendre de nous-mêmes et des autres pour la construction de la nation. Nous devons respecter nos propres produits, être fiers de pouvoir les créer ou les fabriquer et ne pas avoir de l’admiration et du goût uniquement pour les produits importés.

Nous devons avoir une culture scientifique. Nous devons reconnaître le rôle nécessaire de la science et de la technologie pour assurer notre indépendance nationale, promouvoir la démocratie et réaliser le développement social et économique. Nous devons mettre en avant la science et la technologie, ainsi que le large éventail de connaissances et de compétences professionnelles nécessaires à la réalisation de l’industrialisation nationale du pays.

Nous devons mobiliser la classe ouvrière en tant que force la plus productive et la plus progressiste du pays. Nous devons faire appel aux connaissances et aux compétences des scientifiques, ingénieurs, technologistes et professionnels des sciences naturelles et sociales. Nous pouvons faire appel à la solidarité internationale et à un large éventail de sources scientifiques et technologiques étrangères.

Nous devons avoir une culture de masse. L’essentiel est toujours de servir le peuple, en particulier les masses laborieuses d’ouvriers et de paysans opprimés et exploités dans notre pays. Leur pleine participation est nécessaire pour affirmer l’indépendance nationale, exercer leurs droits démocratiques et développer l’économie. Leurs conditions de travail et de vie doivent toujours être améliorées grâce à leur propre travail.

Eux et leurs enfants doivent avoir pleinement accès aux services sociaux, notamment à l’éducation, à la santé et au logement. L’éducation pour les masses doit également inclure leur plein accès à d’autres moyens d’information et de culture, tels que les médias classiques et numériques de masse, qui doivent être démocratisés au lieu de servir uniquement l’élite et les classes moyennes. L’objectif est de réaliser la libération sociale des masses laborieuses des millions d’ouvriers et de paysans.

Nous sommes actuellement engagés dans un processus de paix dans lequel la direction du GRP (Gouvernement de la République des Philippines) nous assure qu’il est possible d’obtenir des réformes sociales et économiques ainsi que des réformes politiques et constitutionnelles sous des conditions de cessez-le-feu et de coopération. Voyons ce que nous pouvons obtenir en termes d’indépendance nationale, de démocratie, de justice sociale, de développement et de progrès tous azimuts.

Il existe une série de tests pour prouver que les négociations de paix en cours sont le moyen d’obtenir les réformes suffisamment importantes pour permettre une paix juste et durable. Le fait que le GRP juge nécessaire de négocier sérieusement avec le NDFP témoigne de l’excellente façon, pleine de principes, dont le Parti Communiste des Philippines a dirigé la révolution démocratique populaire.

Nous ne pouvons espérer construire une nouvelle société démocratique aux Philippines que si la classe ouvrière peut jouer son rôle dirigeant par le biais d’un parti révolutionnaire en s’acquittant de tâches idéologiques, politiques et organisationnelles. Pour cela, le marxisme-léninisme-maoïsme fournit un cadre idéologique et un programme pour la révolution démocratique populaire et pour une culture nationale, scientifique et de masse. Cette idéologie révolutionnaire insiste sur le caractère international de la classe ouvrière et relie la nouvelle culture démocratique créée par le peuple philippin au trésor beaucoup plus riche des cultures socialiste, anti-impérialiste et progressiste des autres régions du monde.

Une nouvelle société démocratique devrait préparer la voie à un avenir socialiste brillant et heureux aux Philippines. Il n’y a d’autre moyen d’atteindre le socialisme que de saisir une opportunité majeure pour faire avancer les droits nationaux et démocratiques du peuple philippin contre l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique. Nous devons vaincre ces monstres pour jeter les bases du progrès vers le socialisme. Au cours de ce processus, nous devons continuer à utiliser l’arme de la révolution culturelle car elle contribue à consolider et à accroitre les victoires du peuple philippin à chaque étape et à les préparer à de plus grandes avancées et victoires à l’avenir.