La révolution n’a pas de genre
Les Philippines sont un pays semi-colonial semi-féodal, où le divorce n’est par exemple toujours pas légal. Concernant les droits des personnes LGBT, dans la vieille société bourgeoise, ils sont très discriminés. Le texte « la révolution n’a pas de genre » est issu du mouvement révolutionnaire des Philippines et raconte comment les droits des LGBT et leur perception a évolué dans le mouvement jusqu’à aujourd’hui, où ils constituent une partie importante des forces révolutionnaires.
« Si nous devions être regroupés dans ce front de guérilla, nous formerions une compagnie. Mais cela n’arrivera pas. Vous avez vu à quel point nous étions turbulents pendant le match de volleyball ? Nous pourrions être encore plus turbulents. » Tous ont rigolé à cette idée.
Ils ne se rencontrent pas souvent. En fait, certains d’entre eux viennent juste de se rencontrer. Ils appartiennent à différentes zones de guérilla et, comme ils l’ont dit, ils ne peuvent pas être regroupés. Pas parce qu’ils sont turbulents, mais parce qu’il y a des besoins particuliers dans les zones qui leur ont été attribuées.
Ils sont membres du Bataillon Pulang Bagani (PBB) de la Nouvelle Armée Populaire (NPA). Révolutionnaires. LGBT.
1 – La lutte contre la discrimination
Ka Riko, une chorégraphe, a raconté que leurs « ninunong bakla » et « anitong bading » (littéralement « ancêtres » et « icônes » gays) dans les centres urbains avaient été victimes de discrimination de la part de certains membres du mouvement qui considéraient l’homosexualité comme une faiblesse. Les homosexuels avaient été critiqués pour leurs hanches qui se balancent, en particulier lors des rassemblements. Il fut même un temps où être gay était considéré comme un risque pour la sécurité.
Le nombre croissant de gays et de lesbiennes au sein du Parti [NDLR: Parti Communiste des Philippines] a nécessité des études approfondies, un remaniement idéologique et un guide politique pour une attitude appropriée à l’égard des membres qui ont exprimé leurs préférences sexuelles. Ces efforts visent à atténuer, voire à éliminer la discrimination entre les sexes.
Parmi ceux-ci figurait « Sur la Relation Prolétarienne des Sexes (OPRS) » – un document du Parti destiné à guider les relations et les mariages. Au cours du 10e plénum du Parti Communiste des Philippines (CPP), les droits égaux des gays et des lesbiennes ont été reconnus, de même que la reconnaissance de leurs préférences en matière de sexualité, de genre, ainsi que de mariage.
De plus, au fil du temps, les LGBT ont prouvé que leur place étaient dans la révolution. Le fait leurs hanches se balancent n’a rien à voir avec leur capacité à diriger et à exécuter des tâches, y compris des tâches militaires.
Cependant, le processus d’acceptation et de reconnaissance des droits des non-hétéros n’a pas été facile. Outre le développement inégal des membres du mouvement, l’influence de la culture et de la société bourgeoise qui méprisent et discriminent les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transgenres (LGBT) est forte. Combattre de manière persistante cette influence perverse était impératif.
Ka Duday, l’un des membres du personnel médical du PBB, a révélé à quel point il était mal à l’aise au début. Il ne savait pas comment se placer. « Je ne pouvais pas prendre de bain avec les hommes parce que cela violerait les règles. Je ne pouvais pas rejoindre les femmes parce qu’elles pourraient penser que je profite d’elles. Puis quelqu’un a fait remarquer que les homosexuels n’avaient pas leur place dans la révolution. Gravement offensé, je me suis démoralisé. J’ai quitté le mouvement. Mais à la maison, je ne faisais que pleurer. Après quelques mois, j’ai envoyé un message, pour revenir et faire le bilan avec eux. »
Ka Duday pensait que combattre la culture dégradée de la société bourgeoise dans laquelle nous étions nés et initier un changement se concrétiserait à partir de la lutte collective des gays, des lesbiennes et des hétérosexuels dans la révolution démocratique nationale. Les documents du Parti permettent aux gays et aux lesbiennes de comprendre qu’ils ne sont pas séparés de l’oppression et de l’exploitation subies par les autres. Il est donc important qu’ils jouent un rôle actif dans la guerre populaire.
« Mais nous ne pouvons pas témoigner de ce message et les convaincre [les LGBT] de la nécessité de la révolution si nous sommes nous-mêmes indisciplinés », a déclaré Ka Duday.
Pendant ce temps, Ka Riko a partagé son expérience lors d’une rencontre avec l’armée en 2000, où ils ont été mis sur la défensive. Ils ont eu du mal à battre en retraite de l’ennemi. L’armée avançait vite. Ensuite, l’un de leurs camarades, un homosexuel, s’est placé loin de l’unité principale de la NPA et a ouvert le feu sur l’armée pour détourner son attention. Cette tactique de diversion a permis à l’unité NPA de manœuvrer et de se retirer. « J’étais fier ! » s’est exclamé Ka Riko.
Cet incident a été un tournant dans la manière dont les gays de leur unité ont été traités. Ils plaisantaient toujours mais cette fois, avec affection, pas comme avant quand ils sentaient que les gens les évitaient. Ka Riko a déclaré avec fierté : « Les homosexuels dans le mouvement sont des combattants formidables et courageux. »
Le groupe s’est souvenu de Wendel Gumban-Weng, dit Wanda pour ses amis et camarades de la ville et Ka Waquin avec les combattants rouges du PBB et les Lumads martyrisés. Diplômé en tourisme de l’Université des Philippines, Wendel avait laissé de côté ses ambitions personnelles pour servir les masses et la révolution.
« En plus d’être un guerrier gay, l’engagement de Ka Waquin au service du peuple est une inspiration éternelle, non seulement pour nous, gays, mais également pour de nombreux camarades et pour les masses. Il a prouvé que le fait d’être gay n’empêchait pas de tirer avec une arme à feu, surtout si c’était pour la libération nationale », a déclaré Ka Duday.
2 – Faire son coming-out
En plus d’affronter l’ennemi, ils savent qu’il est également nécessaire d’affronter avec courage les contradictions internes. Faire son coming-out pourrait inciter à se laisser abaisser, ridiculiser et détester.
« Depuis le lycée, je savais déjà que j’étais LGBT mais je l’ai caché à ma famille. Je me suis mêlée à la NPA mais je n’avais pas l’intention de me joindre à eux. Je les ai simplement aidés quand je le pouvais. Quand vous venez d’une famille de paysans, vous voulez toujours sortir votre famille de leur dénuement. Du coup, j’ai travaillé comme agent de sécurité dans la ville. Cependant, je ne pouvais pas supporter la situation d’exploitation dans laquelle se trouvent les agents de sécurité. C’était un sacrifice inutile. J’ai quitté mon emploi et contacté mon ami de la NPA pour lui faire part de mon désir de la rejoindre », a déclaré Ka Princess.
« Pendant plus d’un an, je me suis cachée de notre groupe. Mais cela me dérangeait, alors je me suis ouverte à Ka Bob, membre du comité supérieur. Je lui ai demandé d’en discuter avec le comité. Je ne savais pas comment ils réagiraient mais c’était le moindre de mes soucis. L’important était d’avoir fait mon « coming out » et je me suis sentie soulagée », a ajouté Princess.
Ka Princess s’attendait à la moquerie de ses camarades et des masses après avoir appris la vérité. Mais cela n’est pas arrivé. En fait, certains étaient étonnés.
« Quand vous voulez vraiment cacher votre véritable identité, vous faites tout pour éviter les soupçons », a expliqué Ka Princess.
À l’une des célébrations d’anniversaire du CPP, Princess a invité sa famille. C’est là qu’elle leur a avoué ses préférences sexuelles et de genre. Au début, ils ont été choqués, mais après s’être expliquée avec eux, ils l’ont accepté comme elle était.
Ka Princess s’est sentie libérée après cette confession, comme si une grosse épine lui avait été retirée du pied. Elle a rejoint le NPA en tant que Ka Marco, elle est maintenant Ka Princess, guide politique d’un peloton.
Pour Ka Awra, être moro et LGBT était un double fardeau.
« J’enviais mes amis de la ville parce que beaucoup d’entre eux, hommes et femmes, maîtrisaient le jargon LGBT. J’ai l’impression qu’ils ont très bien accueilli les LGBT. J’ai appris plus tard qu’ils me soupçonnaient déjà d’être gay, parce que j’étais sage et doux. Mais ils ne m’ont jamais posé la question et ne m’ont pas fait avouer. En 2005, j’ai été invité à un lancement de l’organisation des gays et des lesbiennes. Je me demandais pourquoi j’étais invité. Lors de la présentation de soi, il fallait indiquer son nom et son attirance (gay, lesbien ou bisexuel). Lorsque ce fut mon tour de parler, j’ai fait mon coming-out et ma « carrière » en tant que Awra Alindogan a été lancée de manière inattendue. Bongga ! (génial !) », s’est écrié Ka Awra, responsable éducatif, émerveillé par ce souvenir.
Après cette révélation, Ka Awra découvrit qu’il pouvait faire beaucoup plus et contribuer à la révolution : il pouvait écrire, il pouvait danser, il pouvait impressionner avec ses prouesses culturelles pour pimenter son travail d’organisation et d’enseignement. Il s’était ouvert à ses camarades et aux masses. Il s’est rendu compte que les masses l’accepteront et l’aimeront, peu importe son genre et orientation sexuelle, tant qu’il peut les aider à résoudre leurs problèmes ; ils le voient au service du peuple entrain de résoudre des problèmes; ils sont guidés et ils apprennent de ses instructions, que ce soit des cours du Parti ou simplement pour lire et écrire. Tant qu’il les accompagnera dans l’élaboration de plans et de programmes qui serviront leurs intérêts, ils l’accepteront sans réserve.
« Il y a eu cette fois où notre camp a été dévalisé et toutes nos affaires ont été emportées. Les masses, apprenant l’incident, m’ont envoyé beaucoup de choses pour remplacer ce que j’avais perdu. Le geste m’a tellement touché que j’ai eu les larmes aux yeux. J’ai répondu pour les remercier. Les masses aiment tellement l’armée populaire. Ils sont toujours ravis de nous rencontrer et de plaisanter avec nous chaque fois que nous sommes dans la région », a raconté Ka Awra.
Awra a exprimé sa prise de conscience que le respect ne se gagne pas en se cachant soi-même. En premier lieu, il n’est pas nécessaire de cacher ou de nier son orientation sexuelle ou son genre. Si quelqu’un fait bien son travail, entretient de bonnes relations avec tout le monde, respecte les politiques et les programmes du mouvement révolutionnaire, il n’y aura aucune complication. Cela ne s’applique pas seulement aux LGBT. Tous les hommes et toutes les femmes doivent bien s’acquitter de leurs tâches pour la révolution. De cette manière, ils gagneront la confiance et le respect de leurs camarades, ainsi que des masses.
Une fois, Ka Awra a été chargé de diriger une équipe dans le cadre d’une opération militaire spéciale. Il a refusé, surtout parce que ses longs cheveux devaient être coupés. Il a pleuré tout au long de la coupe. « Ayoko na mag-struggle (je ne veux plus faire partie de la lutte) », dit-il en riant en se remémorant l’incident.
Mais à la fin, il réalisa qu’il ne devait pas donner la priorité aux désirs personnels sur les tâches révolutionnaires. Il a finalement accepté l’opération et ils ont ensuite débriefé. Il devait occuper un point de contrôle tenu supposément par l’AFP (Forces Armées des Philippines, l’armée réactionnaire). Au cours de l’opération tactique proprement dite, il y avait des « directeurs » qui l’ont encadré. Ils ont attiré son attention à chaque fois que ses paroles et son action commençaient à s’affaiblir dans l’infiltration. Mais ils l’ont laissé être lui-même lorsqu’il n’y avait pas d’autres personnes qui mettaient en danger la sécurité autour de lui. Il pouvait s’asseoir les jambes croisées. Il pouvait s’éventer à souhait. Mais quand il y avait d’autres personnes et des véhicules de l’armée, il devait retourner à son « costume de militaire » et a joué son « rôle » avec succès.
« Après l’opération, nous avions tous faim lorsque nous avons emballé nos affaires. Voyant l’approche d’un camion de livraison de fruits, les membres de mon unité m’ont dit de demander à manger. Bien que contrarié, la compassion a pris le dessus sur moi et j’ai arrêté le camion pour demander de la nourriture. J’étais déjà en t-shirt mais toujours en pantalon militaire. J’ai utilisé mon charme. Cependant, ceux qui se trouvaient à bord du camion ont quand même réussi à m’identifier avec la NPA car ils ont dit que personne dans l’AFP n’admettrait être gay. Nous avons appris plus tard qu’ils venaient de l’un des barangays (quartiers) où nous avions fait un travail de masse auparavant », a poursuivi Awra.
3 – Mouvement de libération LGBT
La reconnaissance et le respect des droits des LGBT par le CPP constituent un grand pas en avant pour les LGBT. Le mouvement continuera à acquérir plus de connaissances et de leçons à mesure qu’il avance vers la révolution démocratique nationale. Le mouvement peut rencontrer d’énormes obstacles sur le chemin mais, guidés par les principes marxistes-léninistes-maoïstes, il sera en mesure de dégager le chemin vers la victoire. Les camarades, les cadres et les masses sont là pour prouver, vivre et enrichir les leçons apprises.
Selon Ka Riko, on ne pourrait pas empêcher les LGBT de rencontrer encore des problèmes, en particulier avec des camarades qui ne se sont pas complètement débarrassés de la culture bourgeoise dans laquelle ils ont grandi. Mais c’est là que le CPP diffère de tous les autres partis politiques. Il reconnaît ses faiblesses, en tire les leçons et se rectifie, et ainsi font ses membres.
« La révolution ne discrimine pas le genre. Le fusil n’a pas de genre. L’aspiration à servir les masses et à gagner la révolution pour instituer un réel changement de société nous lie à tous, hommes, femmes, LGBT », a ajouté Ka Princess.
« C’est normal pour les LGBT de rejoindre le mouvement révolutionnaire. Ce n’est que par la révolution armée que nous pouvons promouvoir et construire une société dont la beauté ne sera pas que de non seulement à la surface, mais qui émane également de la liberté totale », a conclu Ka Duday.
Plus que la simple reconnaissance de leurs droits, le Parti a doté les LGBT de la théorie et de la pratique du MLM pour leur permettre de libérer non seulement leurs camarades, mais également toutes les classes opprimées. Ils sont dotés d’une théorie qui leur permet de briser la croyance conventionnelle selon laquelle le genre qu’ils ont choisi est uniquement destiné aux salons de beauté et que leurs talents sont uniquement destinés au divertissement [NDLR : l’objectification des LGBT est un problème important aux Philippines et en Asie du Sud-Est en général]. Ils sont en mesure de pouvoir rejoindre et jeter les bases d’une société libérée des entraves de l’exploitation et de la discrimination.