Etats impérialistesFéminisme prolétarienThéorie

Prostitution et lutte des classes

PROSTITUTION ET LUTTE DES CLASSES
Une analyse marxiste-léniniste de la prostitution

Note : Le texte suivant est la résolution des femmes d’Iniciativa Comunista (Initiative Communiste) prise lors de la Conférence des Femmes de 2018.

1. Introduction à notre analyse

La légalisation de la prostitution serai comme si la bourgeoisie plantait un drapeau victorieux sur le terrain du patriarcat et du capital. C’est la dernière frontière légale qu’il reste avant de s’approprier nos corps.

Nous comprenons la prostitution comme une institution politique qui contribue à la promotion et au maintien de la hiérarchie patriarcale des relations, fondée sur les intérêts du capitalisme et sur la forme de production et de reproduction qui s’y produit. Cela ne signifie pas que la prostitution est la seule institution dans laquelle le capitalisme et le patriarcat stratifient leurs relations pour maintenir le statu quo. Cependant, cela ne nie pas non plus l’importance de l’analyser, car c’est toujours une institution capitaliste et patriarcale qui réglemente et contrôle (formellement ou informellement) la sexualité des femmes. La prostitution représente un instrument politique normalisant les relations sexuelles / affectives, régulant et idéologisant la construction du désir et les relations entre hommes et femmes. Par conséquent, cela ne concerne pas seulement les femmes qui se prostituent, mais toutes les femmes.

Bien que l’argument utilisé pour défendre la position régulationniste prétende vouloir donner des droits aux travailleuses du sexe, la question sous-jacente de ce vernis libéral des droits est de savoir comment réglementer et légaliser la manière dont les hommes peuvent accéder à notre corps. Le pouvoir d’accéder au corps d’une femme en le réduisant à un simple objet de consommation est le pouvoir d’accéder au corps de toutes les femmes. Cette possibilité devient un droit universel des hommes sur les femmes, protégé et légitimé par des lois. Par conséquent, en tant que communistes, nous devons avoir une stratégie très claire en matière de prostitution et mener une lutte féministe et de classe, pour celles qui travaillent dans la prostitution et celles qui ne le font pas, afin de lutter en tant que classe ouvrière à notre propre émancipation du joug patriarcal.

La manière dont un État réglemente et aborde cette question est conditionnée par la fonction économique et sociale de la femme dans ladite société. Le traitement de la prostitution dépend de la manière dont notre force de travail et notre sexualité (entendue par la production et la reproduction) servent les intérêts de la bourgeoisie. En ce sens, la réglementation juridique de la prostitution par un État est la légalisation d’une forme spécifique d’exploitation sexuelle des femmes. Cela implique de légitimer, en légalisant, l’accès des hommes aux corps des femmes et de réglementer la manière spécifique selon laquelle cet accès / cette exploitation aura lieu.

Les femmes qui pratiquent la prostitution sont rendues invisibles et réduites au silence, dans le sens le plus absolu de la vulnérabilité sociale et politique, qui est à la fois la cause et la conséquence – à parts égales – de leur situation. Les femmes représentent le dernier maillon de la chaîne d’exploitation, c’est précisément à travers notre corps – et notre vie – que se crée la richesse qui soutient l’immense activité de la prostitution. C’est pourquoi nous ne pouvons ni ne devons nier l’existence de la prostitution et la nécessité de prendre en compte le sujet politique des femmes qui l’exercent ou l’ont exercé.

2. Perspective économique de la prostitution dans le mode de production capitaliste

Dans l’histoire, le travail a été une condition de l’existence humaine, une médiation nécessaire entre l’homme et la nature. Cependant, le travail dans le capitalisme est une activité génératrice de valeur, une valeur socialement utile qui peut être vendue comme une marchandise. Nous comprenons le travail comme une expérience aliénante, une activité que le travailleur ne fait pas volontairement et qui, par conséquent, n’a pas pour but de l’aider à s’accomplir. Le travail n’appartient pas au travailleur, mais au capitaliste qui l’exploite, tandis que le travailleur ne possède que sa force de travail. Les travailleurs vendent leur force de travail, leur capacité de travail, au plus offrant dans le seul but de subsister, de sorte que tout type de contrat, légal ou non, est un contrat inégal, et en aucun cas gratuit. Ainsi, la force de travail devient une marchandise que le travailleur loue au capitaliste. Un ouvrier de chantier, une masseuse, une serveuse… tous vendent leur force de travail à la personne qui les embauche, de même que la prostituée.

Dans le système capitaliste, une distinction est faite entre le travail productif, qui crée une nouvelle valeur (le travail productif pour le capital est celui qui “produit de la survaleur pour le capitaliste et contribue ainsi à l’auto-expansion du capital”) et au travail reproductif. , liée à la «production naturelle». Cette catégorie comprend tout le travail qui permet de créer et de maintenir le travail de la classe ouvrière et avec lui le travail productif. Ainsi, le travail reproductif fait partie du cycle capitaliste et constitue une nécessité pour l’existence de la production (sans main-d’œuvre, sans force de travail, il n’y a pas de production). Par conséquent, sans le travail reproductif des femmes du noyau familial, il n’y aurait pas non plus de production.

Le travail reproductif est complété par un travail productif, à la différence que le travail de reproduction n’est ni reconnu, ni rémunéré (au même niveau). Nous pouvons distinguer quatre types de travail reproductif : le travail domestique, le travail du sexe, le travail affectif et le travail de reproduction. Ce n’est pas surprenant, puisque c’est par nature que le capitalisme cherche des moyens de surexploiter ce travail en le commercialisant, comme c’est le cas du travail domestique avec des femmes de ménage ou des mères porteuses qui louent leur ventre; c’est aussi le cas du travail du sexe avec prostitution. Nous devons comprendre que cette marchandisation n’est, ni n’a été, une reconnaissance ou une rémunération du travail que les femmes accomplissent dans le noyau familial ou dans les relations sociales et, en fin de compte, dans notre vie quotidienne, mais une transformation en travail séparé que les femmes de la classe ouvrière sont obligées d’assumer en plus de ce qu’elles font déjà, favorisant encore une fois la double exploitation.

Le capitalisme est donc alimenté par la prostitution, quelles que soient les conséquences que cela entraîne pour les travailleuses ou la violence brutale patriarcale que ce travail leur apporte; en fait, il est même chargé de promouvoir cette pratique et de l’élargir à un plus grand nombre d’entreprises comme avec la pornographie. Le capitalisme est également capable de les relier à de nombreuses entreprises et industries telles que la drogue ou même des industries standardisées et bien considérées telles que le tourisme (c.-à-d. le tourisme sexuel). Cette dernière pratique est très courante dans l’État espagnol, qui est le bordel de l’Ouest depuis des décennies, ainsi que dans d’autres pays tels que la Thaïlande ou le Brésil.

Dans le socialisme, avec le pouvoir et les moyens de production entre les mains du prolétariat, sans aucun profit pour la bourgeoisie exploiteuse, le travail de la classe ouvrière dans son ensemble ne peut pas profiter qu’à une moitié de la classe. La prostitution est non seulement un travail salarié qui enrichit la minorité exploitante aux dépens de la majorité exploitée et ne profite qu’à une moitié de la population au détriment d’une autre, mais elle banalise également le corps des femmes. En tant que communistes et féministes, nous sommes pour l’abolition de toute forme de marchandisation du corps des femmes. Dans la future société communiste que nous avons l’intention de construire, une société dans laquelle l’appareil d’État n’existera plus, dans laquelle ni les classes, ni les sexes, ni les races n’existeront, les relations affectives-sexuelles seront libres et il n’y aura place à la prostitution.

2.1. Travail salarié et liberté individuelle

Nous trouvons dans le Manifeste du Parti Communiste deux questions fondamentales qui ne peuvent être ignorées par aucun communiste, car ces idées sont essentielles à nos principes. Ces deux questions sont: la dénonciation de la liberté bourgeoise en tant que fausse notion de liberté et l’abolition de la propriété privée. De notre point de vue, ces deux questions sont étroitement liées au débat sur la prostitution, qui est maintenu de manière si vivante aujourd’hui, et nous ne pouvons et ne devrions pas le perdre de vue à chaque fois si nous voulons aborder cette question selon une perspective conforme à nos principes :

Dans la société bourgeoise, le passé domine donc le présent; dans la société communiste c’est le présent qui domine le passé. Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l’individu qui travaille n’a ni indépendance, ni personnalité. Et c’est l’abolition d’un pareil état de choses que la bourgeoisie flétrit comme l’abolition de l’individualité et de la liberté ! Et avec raison. Car il s’agit effectivement d’abolir l’individualité, l’indépendance, la liberté bourgeoises. Par liberté, dans les conditions actuelles de la production bourgeoise, on entend la liberté de commerce, la liberté d’acheter et de vendre. Mais si le trafic disparaît, le libre trafic disparaît aussi. Au reste, tous les grands mots sur la liberté du commerce, de même que toutes les forfanteries libérales de notre bourgeoisie, n’ont un sens que par contraste avec le trafic entravé avec le bourgeois asservi du moyen âge; ils n’ont aucun sens lorsqu’il s’agit de l’abolition, par le communisme, du trafic, du régime bourgeois de la production et de la bourgeoisie elle-même. Vous êtes saisis d’horreur parce que nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société, la propriété privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres. C’est précisément parce qu’elle n’existe pas pour ces neuf dixièmes qu’elle existe pour vous. Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de propriété qui ne peut exister qu’à la condition que l’immense majorité soit frustrée de toute propriété. En un mot, vous nous accusez de vouloir abolir votre propriété à vous. En vérité, c’est bien ce que nous voulons.» (Manifeste du Parti communiste, K. Marx & F. Engels)

Nous, les communistes, luttons pour l’abolition du travail salarié, au sens où l’entend le capitalisme – c’est-à-dire basée sur l’exploitation d’une classe par une autre. On ne peut pas être communiste si on n’assume pas ce principe élémentaire, car la lutte contre elle, contre la propriété privée des moyens de production, est le fondement pour détruire la base économique du système qui nous opprime et, avec elle , toute la superstructure élevée pour la reproduire et la justifier.

Comme le dit le Manifeste du Parti communiste, la «liberté» traitée comme un droit individuel est un moyen de s’attaquer à la lutte contre toute oppression et n’est rien de plus que le résultat de la morale bourgeoise. C’est la justification idéologique nécessaire pour perpétuer le système d’exploitation dans lequel nous vivons, car «dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et a une individualité, alors que la personne vivante est dépendante et n’a pas d’individualité». Pour les communistes, la liberté est la compréhension des besoins de notre classe et, dans ce sens, nous défendons la fin de toute exploitation, la fin du travail salarié et la destruction des «libertés» morales et individuelles qui sont placées au-dessus du bien être collectif. Sans cette défense, il n’y a pas de sujet révolutionnaire pour guider la lutte.

Les communistes défendent qu’étant donné que la société dans laquelle nous vivons est aliénante pour la classe ouvrière – de toutes les manières – il n’y a pas de libre choix dans notre classe. Il ne convient donc pas à notre classe de défendre une fausse «liberté» individuelle au-dessus de la liberté et des droits collectifs. Nier cela, ce serait nier le marxisme. Nier cela, c’est défendre le fait que la lutte serait vouée à l’échec.

Dans le capitalisme, la seule liberté qui existe est celle que la bourgeoisie peut exploiter, piller, échanger et dominer. La classe ouvrière ne prend pas de décisions librement, faute de cette prétendue «liberté individuelle», alors même que l’idéologie dominante est déterminée à l’utiliser comme un symbole contre la lutte pour la défense des droits collectifs.

Le fait que les membres de notre classe n’aient que leur travail comme outil de survie nous prive de notre capacité de décision. Les besoins de base dans ce système sont achetés avec de l’argent, c’est pourquoi nous subissons des salaires indécents, des abus, des licenciements et une exploitation. Et ce n’est pas une coïncidence, encore moins le résultat de la «liberté individuelle», que la prostitution augmente considérablement à des époques et dans des endroits où la classe dominée est moins bien lotie sur le plan économique, qui deviennent des destinations touristiques dont le principal attrait est la prostitution, exercée principalement par des femmes et des filles pauvres des pays dépendants et / ou affectés par les guerres impérialistes.

Nier ou ignorer la réalité structurelle dans laquelle se trouvent les travailleurs et travailleuses, en déduire que ce qu’ils font ou ne font pas sont des décisions libres et individuelles, constitue le subterfuge maximal du libéralisme lui-même. Le libéralisme le justifie au même titre que d’autres formes d’exploitation sauvage exercées par la bourgeoisie. Par exemple, le fait que les Bangladais cousent des vêtements et soient exploités pour Amancio Ortega dans une usine 18 heures par jour devient une décision individuelle sous l’argument de l’impérialisme: «mieux que rien» parce qu’ils ont décidé «librement» et non le pistolet sur la tempe. La réalité c’est que, pour les travailleurs, le pistolet est précisément la structure capitaliste: soit on vend sa main-d’œuvre, soit on meurt.

Il est donc fondamental de dissocier le travail salarié et la liberté individuelle du choix dans le capitalisme de toute idée de liberté des travailleuses. Par conséquent, ce serait une grave erreur de principe que d’exclure les prostituées de cette logique et de les traiter comme si elles n’étaient pas aussi des femmes d’origine ouvrière à qui les mêmes principes s’appliquent que pour les autres. Puisque nous parlons de travailleuses, et non de martiennes ou de toute autre espèce, nous comprenons qu’elles effectuent également un travail aliénant et exploitant et qu’il serait erroné de les voir comme n’exerçant que leur liberté individuelle, en contradiction avec le reste de notre analyse.

2.2. La prostitution et l’accumulation primitive

Il n’est pas surprenant qu’à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, lorsque l’accumulation primitive était en plein élan il y ait eu une « crise des prix », il y a eu une recrudescence très importante de la prostitution dans tous les pays d’europe occidentale (« Caliban et la sorcière », Silvia Federici). Dans les dernières étapes du féodalisme, lorsque la classe dominée se battait pour obtenir des progrès contre la classe féodale, la prostitution était une arme des États-nations européens naissants pour enrayer les luttes de classe et diviser la classe opprimée.

Pendant ce temps, la prostitution a été déclarée comme « service public », utilisé comme une arme de contrôle idéologique. Les hommes se sont vus offrir et garantir l’accès aux relations sexuelles – c’est-à-dire aux femmes -, afin de les distraire des luttes des « travailleurs » et des paysans, qui mettaient en danger le pouvoir de la classe dirigeante. Les bordels contrôlés par les États naissants ont été normalisés et les femmes ont été utilisées comme des outils sexuels, réduits en esclavage pour le plaisir, non seulement par les propriétaires, mais par leurs propres frères de classe, accélérant ainsi le processus d’objectivation des femmes. Puis a commencé un processus graduel de marchandisation du corps des femmes qui les a transformées de sujets politiques en marchandises, ce que nous pouvons facilement comprendre en regardant autour de nous aujourd’hui. Dès lors, dès le début de la modernité capitaliste, la prostitution était un élément institutionnalisé, et nous pouvons voir à quel point il est important pour l’idéologie dominante (patriarcale et capitaliste) que cette profession existe et, bien sûr, qu’elle soit exercée par des femmes. C’est à ce moment là, où les femmes cessent d’être des partenaires dans la lutte qu’elles ne sont plus que la moitié de ce qu’elles sont.

2.3. Prostitution et impérialisme

Il n’est pas surprenant que le secteur de la prostitution dans les pays impérialistes se nourrit principalement de femmes migrantes, notamment de l’exploitation de leur corps. Ce sont des femmes juridiquement non protégées, avec peu ou pas de réseaux de soutien, supportant généralement matériellement leurs familles dans leur pays d’origine et, dans de nombreux cas, qui ont été trompées et contraintes de migrer à la recherche d’une vie meilleure ou en raison des conditions de guerre et/ou la misère. De ce fait, elles deviennent des sujets particulièrement vulnérables, dont la présence est considérée comme illégale dans les pays occidentaux (ce qui sert de prétexte à l’absence de protection de la part de l’État), et se voient refuser la possibilité de retourner dans leur pays d’origine, car normalement leur migration est forcée par les circonstances causées par l’impérialisme. Cette situation permet au capital de franchir une nouvelle étape dans l’exploitation, d’utiliser la sexualité de ces femmes à ses propres fins.

Nous ne pouvons pas non plus oublier que l’État espagnol a un caractère impérialiste qui se reflète dans la prostitution, dans la mesure où il exploite les autres pays et ses femmes pour permettre et encourager la traite des femmes. Nous voyons à quel point les travailleurs du monde entier sont trompés en prétendant pouvoir accéder à une vie meilleure, à un travail stable, et que certaines femmes qui fuient leur pays à cause des conflits impérialistes sont impliquées dans des transactions avec les mafias, ce qui signifie qu’une fois arrivées, elles sont forcés de se prostituer ou elles sont vendus ou introduits dans l’industrie de la pornographie.

Il n’est donc pas surprenant que la plupart des prostituées de l’État espagnol soient des travailleuses originaires de pays dépendants : Europe de l’Est, Amérique latine, pays pauvres d’Asie et d’Afrique… En supposant que la prostitution ne soit jamais un choix libre, elle devient pour ces femmes trafiquées un cercle dont elles ne peuvent jamais sortir sous peine de menace de mort, d’expulsion du pays, de chantage par l’usage de la drogue, etc. Dans ce contexte, les femmes pauvres et les personnes LGBTI originaires de pays dépendants, où elles sont persécutées en raison de leur identité ou de leur orientation sexuelle, sont également forcés de se prostituer. Ces personnes sont prostituées pour enrichir le capital international et profiter aux hommes de toutes les classes sociales des pays impérialistes, qui consomment les corps des exploités.

D’un autre côté, malgré le grand nombre de femmes migrantes, la perception sociale – traduite en politique concrète – continue de considérer les migrants comme des « hommes », se concentrant uniquement sur les problèmes qui les affectent. Même aujourd’hui, la persécution et la violence à l’égard des femmes n’ont pas été acceptées comme raison de demande d’asile, alors qu’elles le devraient. Si la violence qui les oblige à fuir est une violence normative dans leur pays d’origine, elle n’est pas prise en compte comme cas de protection pour des raisons politiques. Donc, dans ce cadre, les femmes migrantes sont déjà considérées comme des migrantes de deuxième classe, sans accès à des politiques sociales réinterprétant les causes de la migration, s’attaquant à celles-ci et assurant une attention adéquate, les poussant ainsi encore plus violemment et férocement vers la pauvreté, et souvent à la pratique de la prostitution pour leur survie.

Par conséquent, il est logique que la question de la prostitution (qui concerne principalement les femmes) soit traitée par les partis libéraux et bourgeois comme une chose étrangère à nos sociétés. Ce ne sont généralement pas les femmes natives qui se prostituent, mais celles qui sont traitées comme des migrantes de deuxième classe – pauvres, condamnées par l’impérialisme et donc sans droits formels ou informels.

3. La prostitution et l’idéologie patriarcale

La prostitution et l’oppression des femmes sont les deux faces d’une même pièce et l’une des manifestations les plus inhumaines du système patriarcal. C’est faux de penser que les femmes «décident» de se prostituer et que leurs décisions sont le fruit de leur liberté sexuelle. Nous devrions plutôt parler du manque d’alternatives résultant d’un capitalisme brutal dominant qui se nourrit d’une «armée» de femmes, vendues pour des centimes sous forme de marchandises sur le marché du travail, empêchant ainsi toute instabilité de l’ordre établi, avec la prostitution comme institution nécessaire pour ce capitalisme. Comme Engels l’a dit, « dans le monde moderne monogamie et prostitution sont bien des contraires, mais des contraires inséparables, les deux pôles d’un même état social ».

L’existence de la prostitution répond non seulement à des relations spécifiques dans le cadre économique capitaliste et impérialiste, mais elle est également le produit de relations de genre, dans lesquelles une structure d’abus et de soumission des femmes a lieu. Nous ne pouvons donc pas priver la prostitution d’une analyse de genre et la réduire à un modèle de classes simpliste. Que les hommes, légalement ou illégalement, d’une manière ou d’une autre, puissent accéder matériellement aux corps, aux services et à la sexualité des femmes a des conséquences non quantifiables, à la fois idéologiquement et matériellement, à la fois pour les hommes et pour les femmes. Le viol, les abus sexuels, le harcèlement, voire le meurtre, sont quelques-unes des formes de violence subies par les femmes en raison de la culture misogyne et patriarcale. De l’autre côté, on trouve la construction d’un genre masculin qui est renforcé par l’exercice de cette violence sur les femmes.

Il serait réducteur de penser que seul le bénéfice économique obtenu par la prostitution est la raison pour laquelle le système capitaliste non seulement le maintient, mais le promeut, de manière ouverte ou cachée. «Vendre» le corps des femmes et les transformer en marchandise n’est pas un droit, mais une obligation à laquelle les femmes ont été forcées tout au long de l’histoire en raison de leur séparation du travail salarié. Comme nous l’avons souligné précédemment, ce mécanisme économique sous-tend et renforce une idéologie patriarcale qui divise et affaiblit la classe ouvrière, stoppant ainsi notre avancée vers le communisme.

Comme nous l’avons dit, la prostitution ne peut être comprise sans perspective économique; le système génère des profits et dépend de l’activité sexuelle des femmes, mais il ne les aide pas à obtenir leur indépendance économique par rapport aux hommes, bien au contraire. La double oppression – économique et idéologique – de la prostitution peut être vue dans la relation, d’une part, du proxénète, qui incarne la relation de pouvoir économique et d’exploitation, et d’autre part, celle du consommateur, le client, qui incarne la relation de pouvoir patriarcale. Dans ces deux relations, la femme est humiliée, intimidée, violée, agressée physiquement et psychologiquement, etc. Les deux personnages ne sont pas complétement séparé l’un de l’autre, car le proxénète a souvent accès au corps de la prostituée à titre gratuit en tant que moyen de discipline, ou comme moyen de soulagement ou simplement par désir sexuel; et de même, le client paie (aspect économique), ce qui constitue un moyen de blanchissement d’une relation sexuelle patriarcale.

3.1 La prostitution en tant que pacte interclasse

Une question non négligeable à propos de l’institution de la prostitution est qu’il s’agit d’un business d’exploitation à laquelle les hommes de la classe ouvrière ont accès en tant que bénéficiaires, partageant leurs privilèges avec les bourgeois. Cela vise à créer un sens du pouvoir interclasses, qui encourage la pensée bourgeoise parmi la classe ouvrière, créant un sens illusoire du pouvoir social et politique. La prostitution représente un marché qui soutient et aide à réguler les conséquences des crises capitalistes dans la classe ouvrière. Elle renforce la domination patriarcale, contribue au maintien du pacte interclasse entre hommes et renforce l’idéologie de la bourgeoisie. En bref, elle normalise l’exploitation au sein de notre classe. Cette exploitation est légiférée et légitimée à travers son bras politique que sont ses partis bourgeois, sur fond de défense de la liberté bourgeoise. En outre, elle contribue à la division de la classe ouvrière en tant que sujet politique en générant deux catégories: les hommes-sujets et les femmes-objets (ou objets potentiels). Elle enrichit le premier en donnant accès à l’objet/service que sont les derniers. On peut donc dire que le patriarcat divise la classe ouvrière, renforçant ainsi la domination patriarcale.

3.2 Prostitution et violence de genre

La prostitution nécessite une analyse de son rôle dans les relations de genre et les relations économiques pour comprendre ce à quoi nous sommes confrontés. Ainsi, nous disons que la structure économico-patriarcale dans laquelle la prostitution est en place est par nature violente. Cette violence incombe à chacune des femmes qui vivent sous le patriarcat d’une manière spécifique en fonction des conditions dans lesquelles nous vivons.

Les conditions spécifiques qui affectent les femmes qui se livrent à la prostitution les poussent à subir des violences spécifiques qui continuent d’être fondées sur la base de leurs genres. Ignorer cela reviendrait à tomber dans l’idéalisme sans tenir compte des conditions concrètes des prostituées, en les abandonnant dans la lutte contre la violence patriarcale.

Certaines des conséquences de la violence patriarcale à laquelle les femmes sont confrontées dans le contexte de la prostitution sont les suivantes:

– Trouble de stress post-traumatique: selon une étude de l’American Psychological Society, 68% des prostituées souffrent d’un trouble de stress post-traumatique: « 82% ont été agressées pendant l’exercice de leur profession; 88% ont subi des menaces physiques et jusqu’à 68% ont été violées. La peur quotidienne à laquelle sont confrontées les femmes qui survivent par le sexe, en raison des abus et de l’humiliation qu’elles subissent, s’ajoute aux fantômes du passé: 57% d’entre elles ont reconnu avoir subi des abus sexuels pendant leur enfance. « 
– Maladies sexuellement transmissibles: n’oubliez pas que si l’exercice de la prostitution était soumis aux mêmes mesures de sécurité que tout autre travail, l’exercice de la prostitution serait irréalisable.
– Grossesses non désirées, avortements… et ses conséquences ultérieurs sur le corps de la femme.
– La difficulté d’accéder au marché du travail, ce qui facilite la possibilité de retomber dans le trafic de prostitution.
– Usage de drogues pour faire face aux violences sexuelles.
– Déchirures, hémorragies et autres lésions génitales.

4. Évaluation des opinions que nous ne partageons pas

4.1 Sur le trafic d’êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle

Une approche très fréquente dans les débats sur la prostitution consiste à ignorer des problèmes tels que le trafic d’êtres humains ou la prostitution d’enfants. Mais nous défendons que ce postulat n’est ni valide, ni représentatif, ni marxiste, dans la mesure où il ne traite pas de la réalité de facto de la prostitution existante, mais concentre le débat non sur la tendance réelle mais sur des idées ou des hypothèses abstraites, sur des situations inexistantes ou si peu représentatives qu’il serait contraire au matérialisme dialectique de leur donner foi, et de prétendre analyser la réalité à partir de celles-ci.

Bien qu’il n’y ait pas de consensus ni de données officielles sur le pourcentage de traite dans la pratique de la prostitution, certaines données préliminaires indiquent que la majorité des prostituées pratiquent la prostitution contre leur volonté (Rapport de l’ONG Anesvad). Est-il marxiste d’analyser ce qui est anecdotique et de suggérer que cette minorité représenterai une réalité globale ? Bien sûr que ce n’est pas marxiste, bien au contraire. Une vision biaisée de la réalité qui prend ce qui est anecdotique pour extrapoler dessus, au lieu de prendre ce qui est structurel et la majorité, va à l’encontre de toute vision scientifique de la réalité. Défendre cette vision équivaudrait à affirmer que le capitalisme n’exploite pas la classe ouvrière car il en existe une couche qui vit bien ou a de bons salaires.

C’est aussi une vision premier-mondiste de la prostitution qui, en dissimulant la traite dans le débat sur sa réglementation, ignore complétement des pays où les «droits» et la «liberté» des prostituées – et des femmes en général – sont absolument inexistant. En ces termes, il nous semble que les positions régulationnistes sont des déviations anti-matérialistes et réformistes, défendant finalement les intérêts du patriarcat et du capital. Les positions régulationnistes excluent la grande majorité des travailleuses et tendent donc à l’inverse de nos intérêts.

Un autre problème à souligner, et que l’on entend rarement dans les débats sur la traite à des fins d’exploitation sexuelle, est que cette pratique tend à être exercée sur des personnes et des groupes structurellement opprimés par le mode de production capitaliste. D’une part, le capitalisme patriarcal dissocie de la production une grande partie des personnes appartenantes à la communauté LGTBI, en particulier les femmes transsexuelles, les exposant à des situations d’extrême vulnérabilité et de dépendance. Bon nombre de ces personnes qui sont forcées de quitter leur domicile ou qui en sont expulsées parce qu’elles ne sont pas socialement acceptées finissent par se faire attrapé par des réseaux de trafiquants pour faire du travail ou esclavage sexuel. C’est la même situation de vulnérabilité que celle vécue par des femmes de pays opprimés qui sont obligées de fuir leur pays et finissent par tomber entre les mains de trafiquants qui les exploitent sexuellement. Par conséquent, en tant que marxistes, nous devons prendre en compte les aspects de race, de classe sociale et de sexe dans le trafic d’être humains, et nous ne pouvons nous cantonner aux limites d’une analyse réformiste superficielle.

Par conséquent, nous défendons le principe selon lequel le traffic d’êtres humains fait partie du débat dans la mesure où il s’agit d’une réalité majoritaire et que ses victimes sont les plus exploitées et sont au cœur de ce problème. Nier cela, c’est lancer un débat sur une réalité qui ignore et laisse les personnes les plus exploitées à leur sort. Ignorer la traite du débat sur la prostitution, c’est créer l’idée d’une prostitution idéale, séparée de ceux qui vivent la vraie prostitution, comme si ceux-ci, les plus opprimés, ne faisaient pas partie de notre lutte féministe et communiste.

4.2. Le point de vue régulationniste et la libération sexuelle

Le rôle de l’activité sexuelle des femmes dans la prostitution est de servir la satisfaction masculine, car ce n’est pas une activité gratuite, que la femme le veuille ou non (dans la très grande majorité des cas), et il est également soumis à tout les facteurs patriarcaux économiques et sociales que nous observons. Ainsi, la prostitution génère et nourrit en même temps une culture sexiste qui condamne la moitié de la population à exister pour quelqu’un d’autre, créant ainsi une structure intrinsèquement violente envers les femmes.

La relation dialectique et l’interdépendance existante entre prostitution et violence patriarcale font qu’il est assez difficile d’imaginer que, dans cette société, les femmes puissent développer une activité sexuelle libre et authentique, qui n’aurait donc aucun rôle ni but patriarcal. Ce n’est pas à nous de décider quelle sera la sexualité des femmes dans une société future, alternative ou communiste, mais c’est à nous d’analyser les causes et les conséquences de la prostitution, ainsi que son énorme impact sur la sexualité des femmes et sur leurs vies dans notre société.

Les positions régulationnistes ont tendance à s’attaquer au prétendu moralisme de l’abolitionnisme, qui considèrerai le sexe comme un tabou, comme quelque chose de moralement restrictif ou comme un acte sacrée. Nous devons garder à l’esprit que les abolitionnistes ne considèrent non seulement pas le sexe comme un tabou, mais qu’en plaidant pour l’abolition de la prostitution, nous luttons pour la liberté sexuelle des femmes autant que le font les régulationnistes. Ceci dit, examinons ces questions: se livrer à la prostitution signifie-t-il obtenir la libération sexuelle ? Est-ce que cela signifie que vous êtes parvenus à un stade où vous aimez le sexe librement et volontairement ? Si oui, alors pourquoi toutes les féministes ne se consacrent-elles pas à la prostitution ?

Considérons d’abord que, dans leur ensemble, les féministes se battent pour, parmi beaucoup d’autres choses, avoir la liberté de pouvoir apprécier les relations sexuelles que nous voulons sans être critiquées ni stigmatisées par la société, comme c’est le cas sous le patriarcat. Cependant, les hommes jouissent déjà d’une position de supériorité grâce à laquelle ils peuvent avoir des relations sexuelles libre et même de pouvoir s’en vanté. Si la prostitution était liée à la libération sexuelle, les hommes ne devraient-ils pas être le genre majoritaire dédié à ce métier ? Pourquoi ne sont-ils pas ? C’est peut-être parce que la prostitution n’a rien à voir avec la libération sexuelle. La lutte pour la liberté sexuelle des femmes mène à un chemin contraire à leur marchandisation.

Gardez à l’esprit que ce n’est pas seulement que les hommes ne font généralement pas ce travail, mais aussi que ce sont eux qui paient généralement pour ces services. Cela crée une relation de pouvoir économique des hommes sur les femmes, qui se concrétise par le fait de pouvoir «posséder» des femmes et qui ne fait que renforcer la relation existante déterminée par le patriarcat dans la société. Les femmes sont objectivées et réduites à la catégorie de marchandise, niant ainsi leur droit de décider de la disposition de leur propre corps (l’utilisation de préservatifs, les avortements forcés, les pratiques et positions sexuelles imposées, etc.). Les hommes se vantent de « se faire des putes », tandis que les femmes qui exercent ce métier sont stigmatisées. Cette relation dans la société est enseignée et perpétuée, et il nous est montré quotidiennement que l’aboutissement de la relation de pouvoir de l’homme sur les femmes a lieu lorsqu’il peut avoir des relations sexuelles avec elles, obtenant ainsi une une «possession» complète d’elles.

Nous sommes conscients qu’il y a des femmes qui peuvent se livrer «volontairement» à la prostitution, mais ce n’est pas par « liberté », mais simplement une naturalisation de leur besoin de se prostituer. Tout comme la classe ouvrière est exploitée mais que sa majorité ne reconnaîtra jamais être exploité. En tant que marxistes, nous n’analysons pas le monde à partir d’une vision individuelle que des gens auraient de leur réalité, mais de la réalité matérielle et structurelle à travers le prisme de la science marxiste.

On peut affirmer, d’un point de vu abolitionniste, que le régulationnisme est donc une position morale, mais de morale bourgeoise, qui cherche à justifier par un discours de «liberté individuelle» – le mantra du libéralisme – une des formes les plus fortes d’exploitation de la femme en tant que travailleurs et en tant que femmes.

4.3 L’assistance sexuelle

Une autre forme de défense de la prostitution depuis quelques années et qui s’inscrit dans l’idéologie patriarcale la plus rance possible est celle qui considère l’activité sexuelle de l’homme et ses désirs comme une nécessité. On retrouve souvent cet argument dans le débat sur l’assistance sexuelle aux personnes handicapées. C’est-à-dire qu’une personne (comme par hasard un homme) est présentée comme incapable d’avoir des relations sexuelles si ce n’est par l’intermédiaire d’une « assistante sexuelle » (comme par hasard une femme) qui accepterai de fournir ce service.

L’une de ses expressions les plus visibles, mais non la seule, est le mouvement «Yes, we fuck» qui présentait la prostitution comme un moyen de garantir le droit des hommes handicapés d’avoir accès à la sexualité, jouant ainsi sur la sensibilité de la société à l’égard des personnes handicapées pour blanchir la prostitution. Toutefois, ce n’est rien de plus qu’un moyen d’utiliser un groupe qui est généralement ignoré pour présenter la prostitution comme si elle était une simple ONG offrant un «service humanitaire». En réalité, on y retrouve l’idée que le corps des femmes serait un droit garanti des hommes.

De plus, cette façon de penser est extrêmement paternaliste à l’égard des personnes handicapées, présupposant qu’elles sont incapables d’établir des liens sexuels par elles-mêmes. Et ce qui est plus important, cela ignore complètement les femmes handicapées. Cela ignore leur perception de la sexualité et le fait que beaucoup d’entre elles subissent tout le long de leur vie des abus sexuels commis par des hommes qui estiment avoir le droit d’avoir accès à leur corps.

En outre, nous ne pouvons pas manquer de noter que cet argument défendant «l’assistance sexuelle» et qui tente de nous convaincre du besoin social de la prostitution est le genre d’argument qui prétend aussi que l’existence de la prostitution empêcherai le viol. Mettons de côté le fait que cela présuppose que si une femme est une prostituée, elle ne peut pas être violée (si vous êtes une pute, qui se soucierai de savoir si vous voulez ou vous ne voulez pas baiser ? Vous êtes là pour ça), les deux arguments concordent pour décrire le désir sexuel des hommes comme un besoin naturel et inévitable qui doit être satisfait socialement. Cela serait donc à la société de déterminer de quelle manière, et par quels canaux, ces «besoins» sexuels seront satisfaits. Autrement dit, il s’agirait de réglementer l’accès des hommes aux corps des femmes, en rendant cet accès indiscutable.

4.4 Et qu’en est-il des clients ?

En tant qu’Iniciativa Comunista, nous défendons fermement qu’un communiste ne peut être un client de la prostitution. Comment quelqu’un qui est d’accord pour acheter des services sexuels, c’est-à-dire d’utiliser le corps d’une femme en échange d’argent, peut-il ensuite la traiter comme son égale, comme une camarade ? L’homme qui « va aux putes » aura sa vision des femmes affectées par cela, il ne les traitera donc pas comme ses camarades et comme égales. Cela signifie que s’il est un client, il n’est pas communiste, car il exploite, viole et agresse ses sœurs de classe. Avoir des clients dans nos rangs et croire qu’ils sont nos camarades ne sert qu’à diviser nos organisations, ce qui affaiblit la progression de notre lutte.

5. Comment nous percevons l’abolitionnisme

En tant qu’Iniciativa Comunista, nous comprenons que l’abolition de la prostitution signifie le dépassement historique du système qui l’a créé : la société de classes, produite par un capitalisme qui abrite un ordre patriarcal pour pouvoir garantir sa propre survie. Notre position abolitionniste est basée sur un féminisme de classe et nous considérons que c’est nous, c’est-à-dire toutes les femmes comme sujet politique, qui avons la légitimité de parler de la prostitution et de définir une position à son égard. En effet, comme dit tout au long du texte, c’est la division patriarcale de la société de classe capitaliste qui renforce la prostitution moderne. Cela n’empêche pas le fait qu’il existe, bien que numériquement très inférieur, une prostitution d’hommes et, particulièrement dans les pays dépendants, d’enfants. Cependant, il est crucial de comprendre que les clients sont toujours des hommes, qui ont le droit d’accéder par le biais de rapports sexuels rémunérés aux corps qui se positionnent socialement au-dessous d’eux. Nous ne discuterons pas des exceptions à cela, car ces cas sont absolument anecdotique. Par conséquent, seule la libération des femmes par la destruction du patriarcat peut mettre fin à l’institution qui est la prostitution.

Cela ne signifie pas que nous excluons les femmes en situation de prostitution. En tant que partie intégrante de la classe ouvrière, nous comprenons qu’elles sont soumises à leur propre libération (comme chacun d’entre nous), en plus de pouvoir mener des luttes partielles centrées sur l’amélioration de leurs propres situations (comme chacun d’entre nous). Nous devons donc accorder une attention particulière au développement de la lutte abolitionniste et à ses exigences concrètes, qui se retrouvent dans ce dont nous avons discuté. Cependant, nous tenons à souligner que cela ne signifie pas pour autant que nous allons tomber dans l’idéalisation de la prostitution promue de tous temps par les mouvements régulationnistes petit-bourgeois, qui donne la parole à un profil de prostitué que nous considérons comme très minoritaire: c’est à dire de celui qui serait satisfait de son travail, qui a volontairement choisi la prostitution parmi d’autres options et qui jouit d’une situation économique confortable, qui est blanc et cultivé, qui choisit ses clients, etc. Au contraire, nous considérons qu’écouter la voix des prostituées implique d’écouter les prostituées les plus exploitées parmi les opprimés, et de réaliser qu’elles sont, tout comme nous, parti du même sujet révolutionnaire, que leur libération et la nôtre empruntent le même chemin et que notre lutte et la leur sont les mêmes. Les femmes et les prostituées ne sont pas des entités séparées.

Pour autant, les tentatives visant à ridiculiser la position abolitionniste en nous décrivant comme des prohibitionnistes fanatiques ou des harceleurs de rue des prostituées nous sont étrangères. Quand nous défendons la nécessité de la révolution, appelons-nous les gens à sortir dans la rue, demain, fusils sur épaules ? Lorsque les communistes occidentaux disent que nous voulons mettre fin à l’exploitation impérialiste en Inde, appelons-nous les gens à renouveler leur passeport pour aller se battre là-bas le plus tôt possible ? Présenter la position abolitionniste d’une manière aussi ridicule n’est rien de plus qu’une position réformiste et réductionniste; la même position que les partis sociaux-démocrates utilisent pour prétendre que le communisme est «impossible» ou «dépassé», ce qui n’est qu’un moyen de justifier leur politique liquidatrice et leur participation au système capitaliste. C’est l’expression de la même idéologie réformiste qui nous fait souvent entendre des phrase ridicules comme: «Oh, alors vous devriez aller dans les montagnes et commencer à tirer».

Pour les communistes, tout principe idéologique, tout objectif stratégique implique une tactique qui dépendra d’une analyse concrète de conditions concrètes. N’est-il pas vrai que les communistes soutiennent les syndicats alors que notre objectif est d’abolir leur raison d’être ? Nous défendons la lutte pour la fin de la prostitution, qui sera une lutte complexe avec mille nuances et des contradictions infinies que nous devons résoudre en analysant la situation lors de cette lutte. Le point de vue abolitionniste a ses propres tactiques, de même que toutes les luttes que nous servons et défendons en tant que marxistes-léninistes.

De même, nous ne pouvons pas oublier que ces tactiques et ces luttes concrètes ne peuvent être définies individuellement, par arrogance intellectuelle ou au chaud dans nos maisons. Personne ne mettra fin à la prostitution en écrivant des polémiques, des chroniques dans des journaux ou dans des cercles d’étude. Lutter pour la fin de la prostitution ainsi que décider des tactiques de lutte les plus appropriées et les mener à bien, ou surmonter les contradictions dont nous sommes conscients et qui sont reflétées dans ce texte, ne peut se produire que collectivement. Lutter individuellement est une pure illusion. Seule être organisé nous permettra de nous doter des outils nécessaires pour analyser, confronter et progresser. C’est pourquoi nous croyons fermement que ce n’est qu’en nous organisant et en dirigeant nos efforts vers la fondation d’un Parti que nous pourrons prendre des mesures fermes en vue de mettre fin à la prostitution, au patriarcat et à la société de classe.

Par conséquent, nous croyons que ce n’est que par l’organisation que nous pourrons mener une lutte véritablement efficace contre la marchandisation de nos corps et contre la promotion d’un capitalisme qui s’introduit en nous pour nous dépouiller de notre humanité et pour nous utiliser comme pion dans un jeu que les capitalistes ont créé pour continuer à s’enrichir. Par conséquent, si nous voulons mettre fin à cette offensive criminelle qui nous condamne à l’exploitation ou nous transforme à sa guise en marchandise, nous ressentons le besoin inéluctable de nous organiser en fonction des outils qui sont à nos dispositions en tant que classe et en tant que genre.

Source : http://www.iniciativacomunista.org/images/pdf/abolicionismo.pdf