Le Boycott électoral pour les communistes
L’année 2018 a été marquée par de nombreuses périodes électorales partout dans le monde. Italie, Suède, Brésil, États-Unis, dans tous ces pays les forces communistes et révolutionnaires ont pratiqué le boycott au niveau national. En Inde, les communistes ont appelé au boycott des élections dans des Etats comme le Telangana, et au Canada, dans la province de Québec.
L’an dernier à l’occasion de l’élection présidentielle, notre Parti avait participé activement à la campagne Boycott 2017, poursuivie jusqu’aux législatives. Un an après l’élection de Macron, les positions électoralistes ont montré leur impossibilité à transformer quoi que ce soit.
Dans le reste du monde, les communistes adoptent la même attitude : dans les pays impérialistes comme l’Allemagne et la Norvège, les élections des années précédentes ont été boycottées, et dans les pays où des Guerres Populaires ont été déclenchées et soutenues, en Inde, aux Philippines, en Turquie, au Pérou, au Manipur, les communistes sont bannis des élections et leurs partisans traqués par l’État et son appareil militaire. Dans le cas du Pérou, c’est même à l’occasion d’un vote, le 17 mai 1980, que la première offensive tactique de la Guerre Populaire a été initiée à Chushi : elle consistait à brûler les urnes et à dénoncer le système électoral.
Il existe donc une tendance générale au boycott des élections parmi les forces communistes internationales. Dans cet article, nous expliquerons en détail cette position. Nous expliquerons les raisons de l’usage de cette tactique aujourd’hui. Nous montrerons grâce aux exemples de cette année au Brésil, au Québec et aux Etats-Unis, sa capacité à structurer le camp révolutionnaire contre la montée du fascisme et contre le révisionnisme. Nous tracerons enfin des lignes de démarcation avec les usages dogmatiques et idéalistes du système de vote ou de l’abstention dans les États bourgeois à l’époque de l’impérialisme, et nous relierons la tactique du boycott à notre stratégie générale pour la révolution.
Brésil : une résistance active face au fascisme
La période actuelle est marquée par une montée des forces prônant la mise en place d’un système de gouvernement fasciste au sommet de l’État bourgeois. Cette montée se reflète pour le moment principalement par des buts électoralistes, et les candidats et partis fascistes profitent de la faillite des fausses démocraties bourgeoises afin de se hisser favoris dans les numéros d’illusion électoraux. Une partie de la bourgeoisie se sert de cette situation, qu’elle a elle même créée, contre celles et ceux qui refusent de voter, et disent alors : « les abstentionnistes servent à l’extrême-droite ».
Les élections au Brésil nous montrent ce qui se cache derrière cette fausse affirmation. L’État brésilien, client de l’impérialisme, a prouvé depuis bien longtemps aux masses qu’il ne fallait rien en attendre. Les partis « modérés » de la bourgeoisie compradore (celle qui vend son propre pays aux impérialistes étrangers) sont discrédités aux yeux de tous. L’administration corrompue des gouvernements du « Parti des Travailleurs », des prétendus réformateurs, a continué à révéler le vrai visage des politiciens bourgeois. Cette administration PTiste a rapidement dévoilé sa nature compradore en utilisant le capital bureaucratique de l’État à son propre profit. C’est ce que montre l’affaire Petrobras, qui a fait tomber Lula et Dilma Roussef, principaux dirigeants populaires du PT.
Dans cette situation, les élections qui ont eu lieu en octobre 2018 étaient en amont touchées par de nombreux scandales, comme le maintien hors-jeu de Lula par l’ensemble de la fraction conservatrice et réactionnaire des bourgeois et propriétaires fonciers brésiliens. Sans son porte-étendard, il était certain que le PT subirait un revers sans précédent. Un revers à la hauteur de la détestation des gens pour les mensonges du PTisme, qui a appliqué des solutions militaires au problème de violences dans les quartiers populaires et qui a expulsé les masses par milliers hors de chez elles pour organiser des événements sportifs comme la Coupe du Monde de Football. C’est sous ce gouvernement que 23 révolutionnaires brésiliens se révoltant dans des manifestations contre l’organisation de la Coupe du Monde ont été arrêtés et emprisonnés.
Le deuxième point particulier des élections brésiliennes de 2018, c’est la montée de Bolsonaro et de son parti, le PSL. Ce candidat fasciste avait le soutien de l’armée (son partenaire pour la vice-présidence est un ancien général) et des puissances impérialistes pour lequel l’État brésilien est client à travers les marchés financiers. Avec ces alliés, il allait rafler à coup sûr les scores des nostalgiques de la dictature militaire et de toutes les classes réactionnaires du Brésil en plus de leur sphère d’influence. En cas de défaite, Hamilton Mourão le partenaire de Bolsonaro l’avait annoncé, le coup de force était envisageable.
Dans ce contexte, les révolutionnaires et les communistes du Brésil ont pratiqué le boycott comme une tactique de résistance contre l’État des propriétaires fonciers et des compradores et leur frange la plus réactionnaire, les fascistes. De nombreuses organisations de masses révolutionnaires, organisations paysannes, organisations d’étudiants, journaux, mouvement des femmes… ont porté activement ce boycott dans les communautés rurales et les villes. Dans les villages, l’État avait envoyé la police militaire pour forcer le vote et décourager les tentatives de boycott (le vote est obligatoire au Brésil). Dans les villes, les universités ont été plusieurs fois envahies par les forces de police afin d’intimider les étudiants qui affichaient des slogans antifascistes et partaient en manifestation avec des banderoles qui indiquaient « Ni élection, ni intervention militaire » (Nem eleição, nem intervenção militar). Le résultat lors des votes, au premier tour, a été de plus de 40 millions de non-votantEs. De nombreuses actions de lutte jugées illégales par le gouvernement se sont développées : des actions déterminées comme la destruction des bulletins de vote et des urnes dans des villages brésiliens ou la formation de groupes de combat contre la police militaire afin d’assurer la sécurité des masses boycottant l’élection.
Tout de suite après le premier tour, où Bolsonaro est arrivé largement en tête, il était clair que le front antifasciste ne sortirait pas des urnes, et que la montée du fascisme au Brésil était déjà très importante. Les camarades ont redoublé leur boycott, connaissant pertinemment l’anti-communisme de Bolsonaro et subissant les attaques renouvelées de l’État. Au deuxième tour, ce sont 42 millions de personnes qui n’ont pas voté. Bolsonaro a remporté l’élection, ce qui veut dire que les révolutionnaires et communistes du Brésil doivent se préparer à la montée d’un fasciste à la présidence. Cette longue et combative campagne de boycott les y a préparé, et leur a montré ce que les masses populaires de leur pays attendaient face à la fausse démocratie. Le boycott est donc dans ce cas là en lien direct avec l’antifascisme et la construction du mouvement révolutionnaire. Un front électoral n’aurait jamais pu adopter ce rôle, puisqu’il serait revenu à dire aux masses que le plus important était de sauver un système de gouvernement pourri, qui garantit depuis des décennies leur misère.
En Amérique du Nord : le développement d’un boycott militant et antirévisionniste
Au Canada, plus précisément au Québec, ainsi qu’aux États-Unis, deux pays impérialistes, le boycott électoral a également été appliqué lors des élections de 2018. Dans ces deux pays, l’origine coloniale de l’État joue une place importante.
Au Québec, une campagne de boycott militant a été menée contre les élections provinciales, préparatoires aux élections fédérales de l’an prochain. L’issue de cette campagne a été une grande célébration urbaine, le soir même des élections. Cela montre que des forces déterminées, même dans les mouvements révolutionnaires en construction des pays impérialistes, peuvent déployer des actions spectaculaires et toucher les masses par cet intermédiaire.
Aux États-Unis, le contexte était celui des élections de mi-mandat de Donald Trump. Les démocrates, humiliés par leur défaite aux présidentielles, ont poussé à fond leur campagne afin d’avoir la majorité dans les chambres du Congrès. Cela signifiait une pression « de gauche » mise en avant par le parti démocrate (un parti impérialiste responsable d’innombrables invasions, loin d’être un allié de « l’antifascisme »). En pratique, ce sont les révisionnistes et les « sociaux-démocrates » américains qui ont servi d’idiots utiles pour présenter cette campagne comme une opportunité pour les « socialistes » du pays. En réalité, les élus du parti démocrate appartenant à cette tendance sont des défenseurs assumés de l’impérialisme américain et de ses alliés internationaux. Leur élection à des fonctions fédérales, le plus haut niveau du système américain, n’est pas une victoire pour les masses, qu’elles vivent au sein des États-Unis ou ailleurs. Le système électoral ne peut apporter aucune victoire.
Cette vérité est bien comprise aux États-Unis, un pays où l’abstention est en général massive. Ce scrutin a attiré 49,6 % des électeurs, une hausse relative importante, mais un résultat absolu très faible. Cela signifie que malgré les largesses du système américain (vote étalé sur plusieurs jours avec les votes anticipés, vote électronique, incitation massive à voter…) plus d’un électeur sur deux s’est abstenu de ces élections malgré le battage médiatique et politique.
Dans ce contexte, le rôle des communistes dans le boycott c’est de se mettre à l’avant d’une pratique de masse en en transformant le niveau de conscience. En clair, aux États-Unis c’était de faire passer de l’abstention au boycott, de la non-participation au refus de participer. Face aux réactions opportunistes des révisionnistes à la « gauche » du parti démocrate, mettre en place un boycott dans l’ensemble des endroits où le mouvement révolutionnaire est présent était également une ligne politique anti-révisionniste. De cette manière en effet, une ligne de démarcation est tracée entre celles et ceux qui s’adressent aux masses sans les bercer d’illusions et les révisionnistes qui continuent à vendre les mêmes faux remèdes. Au sein des États-Unis, un des systèmes politiques les plus fermés des vieilles démocraties bourgeoises, la présence d’un boycott électoral de ce type est à souligner.
Le Boycott est une tactique, soumise à une stratégie générale de construction du nouveau pouvoir
Avec le Brésil ou les États-Unis, on a des exemples de boycott électoraux menés par les communistes au cours de l’année 2018. Cela signifie-t-il que le boycott est une posture qui s’applique en tout temps, et partout de la même manière ? La réponse à cette question est non, le boycott n’est pas une position de principe absolu, mais une tactique pratiquée par les communistes au sein des fausses démocraties bourgeoises. Elle part donc de la situation concrète au sein du pays et ne consiste pas seulement à refuser le système électoral mais principalement à appliquer une ligne politique liée aux masses et à l’état de leur organisation à un instant T.
En 2018, que ce soit dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux ou dans les pays impérialistes, les communistes pratiquent majoritairement cette tactique lorsque les électoins se présentent. Les prétendus « partis communistes » qui ont accepté à bras ouverts le système parlementaire (comme les révisionnistes au Népal à la fin des années 2000) ont révélé aux yeux des masses qu’ils étaient des traîtres et qu’ils ne lèveraient pas le petit doigt pour le combat révolutionnaire une fois confortablement installés dans leurs fauteuils de compradores au parlement.
Le mouvement ouvrier international a, au cours de sa longue histoire, développé une ligne politique sur la question des élections. Cependant, cette ligne est souvent ignorée au profit d’une utilisation dogmatique et opportuniste de textes écrits par des grands théoriciens du communisme. Dans l’État français, c’est le cas des forces révisionnistes par exemple, qui participent à chaque élection, et dépensent une grande partie de leurs ressources à les préparer.
Dans un document théorique de 2016 sur les élections, Lutte Ouvrière justifie par exemple sa participation en citant Lénine dans La Maladie Infantile du Communisme, lorsqu’il évoque en Russie entre 1903 et 1917 : « les diverses formes du mouvement, légal et illégal, pacifique et orageux, clandestin et ouvert, parlementaire et terroriste, de cercle et de masse ». Cette citation, prise hors de son contexte, évoque entre autres le fait que les bolchéviks participaient à la Douma d’État (Parlement) mise en place après la révolution de 1905 en Russie. La Douma était alors une conquête révolutionnaire en opposition aux forces de classe de l’État tsariste russe (aristocratie terrienne en transformation en bourgeoisie monopolistique) car elle était majoritairement composée de partis bourgeois moyens, petits bourgeois, et du parti prolétarien (le PSDOR de Lénine). Plusieurs fois après 1905, le Tsar a personnellement réprimé la Douma dans l’opposition qu’elle posait à son pouvoir.
A propos du boycott, Lénine écrivait en 1906 : “Certes, subordonner la campagne pour la Douma à la lutte principale, réserver à cette campagne la seconde place, en prévision d’une issue défavorable ou d’un ajournement de la bataille jusqu’au lendemain de l’expérience d’une deuxième Douma, — c’est toujours, pourrait-on dire, la vieille tactique de boycottage. Formellement, pareille définition peut se soutenir, car la « préparation aux élections » — outre le travail toujours obligatoire d’agitation et de propagande — se réduit à des préparatifs matériels de détail ; et il est très rare qu’ils puissent se faire longtemps avant les élections. Nous ne voulons pas discuter sur les mots ; mais, au fond, c’est là un développement conséquent de l’ancienne tactique et non sa répétition, c’est une déduction de l’ancien boycottage, ce n’en est pas la réédition.” Loin de jurer par les élections et de surestimer la valeur de la Douma, il la prenait comme une conquête révolutionnaire spécifique, une nouvelle arène de lutte secondaire dans l’Empire Russe de 1906, qui exigeait donc un développement des tactiques des révolutionnaires !
On voit clairement que la situation de l’État français (ou même de l’Union Européenne puisque les révisionnistes souhaitent également s’y faire élire…) aujourd’hui n’est pas du tout la même. Dans le contexte russe, la participation aux élections n’était pas un « témoignage » comme celle des révisionnistes en 2018, c’était un premier acte de construction du double-pouvoir. Être présent dans le Parlement gagné par la précédente révolution et être présent hors du Parlement pour préparer la future révolution, c’était pour Lénine une manière de construire le nouveau pouvoir en Russie. Dans l’Etat français ou dans l’Union Européenne de 2018, les parlements et les postes électoraux ne sont pas du tout des conquêtes révolutionnaires. Ils sont les rouages bourgeois d’un Etat et d’une alliance impérialiste qui appartiennent à cette même classe. On ne peut donc pas les traiter de la même manière.
Les exemples que nous avons développé dans cet article, qu’ils soient de 2018 ou d’avant, nous ramènent à une seule et même synthèse. Le boycott, par son caractère ponctuel (il ne dure que le temps d’une campagne) et circonstanciel (il est décidé sur la base d’une situation concrète et non d’une position de principe) est bien du domaine des tactiques à la disposition des communistes pour construire le mouvement révolutionnaire.
Ignorer que les échéances décidées par l’État bourgeois sont des moments de lutte pour notre camp en les éliminant de notre analyse est autant une erreur que de consacrer toutes ses forces dans une stratégie électoraliste. Nous avons de nombreux exemples de ces deux erreurs, puisque les révisionnistes s’y sont systématiquement vautrés lorsqu’ils abandonnaient la perspective révolutionnaire, c’est-à-dire la stratégie de prise du pouvoir. Cette stratégie, pour les communistes, est la Guerre Populaire Prolongée. Elle dirige l’usage des tactiques afin de permettre d’initier et de remporter la révolution des masses pour la construction de leur nouveau pouvoir face à l’État. Dans cette perspective, en 2018, la tactique de boycott s’intègre à cette stratégie. Elle doit viser dans tous ses aspects à convaincre les masses que l’alternative n’est pas « blanc bonnet et bonnet blanc » aux élections, mais notre pouvoir contre leur pouvoir, le pouvoir de la classe ouvrière et des masses populaires contre le pouvoir de la bourgeoisie.
Source : http://www.pcmaoiste.org/actuinter/le-boycott-electoral-pour-les-communistes/